Rêver au futur pour enchanter le présent

Réponse locale aux crises écologiques et climatiques, le mouvement international des « Villes en transition » vise à construire la résilience des territoires. Son initiateur, l’Anglais Rob Hopkins, est convaincu que ces défis énormes portent en eux l’espoir d’une renaissance économique, culturelle et sociale sans précédent. À condition de libérer notre imagination.

Rob Hopkins est convaincu de l’importance cruciale des rêves et de l’imagination pour apporter des réponses aux crises écologique et climatique que nous traversons. « N’arrêtez pas de rêver. Et mettez l’imagination au pouvoir, comme l’ont fait les étudiants de Mai 68 à Paris », insiste -t-il, le sourire aux lèvres, à l’attention des stagiaires qui assistent à ses ateliers baptisés « Comment tomber amoureux du futur ». C’est aussi le titre de son nouveau livre (non traduit en français), How to Fall in Love with the Future : A Time Traveller’s Guide to Changing the World, qui s’attache à proposer des outils pour imaginer, de manière visionnaire, un futur heureux, avant de chercher à le bâtir.

Pour y parvenir, il faut se raconter des histoires, poursuit-il, l’air enjoué. Imaginer le futur dont nous rêvons, pour lui donner vie dans la réalité, dans un second temps.

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Rob Hopkins, l’inventeur du mouvement international « Villes en transition ».

Voyageurs immobiles

C’est ce à quoi sont invités les participants auxquels Rob Hopkins propose de se projeter en 2030 et d’imaginer – avec le plus de détails possibles et en mobilisant tous leurs sens – un monde qui aurait opéré un tournant décisif et qui serait passé d’une société de croissance industrielle autodestructrice à une société qui soutient la vie.

De ces voyages immobiles, les stagiaires reviennent avec des images de villes arborées et fleuries, de rues et d’avenues tranquilles, emplies d’un flux continu de vélos. Des cités où l’air est pur et où l’on entend distinctement le chant des oiseaux. Des villes libérées du bitume qui a été remplacé par des potagers et des arbres fruitiers et où les énergies renouvelables l’ont définitivement emporté, au grand dam des grands groupes pétroliers qui ont tous fait faillite.

Conscient que nos facultés d’imagination se réduisent malheureusement comme peau de chagrin, il a publié, en 2020, un autre ouvrage, Et Si…on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons, de façon à tenter de remettre l’imagination sur le devant de la scène. « Rien ne changera si l’on ne parvient pas à imaginer un monde nouveau, une société nouvelle et plus joyeuse », souligne l’activiste né à Londres en 1968 d’un père architecte et d’une mère au foyer.

Bouddhisme en Toscane

Le jeune Rob est un enfant créatif qui aime dessiner, lire, peindre et faire des maquettes. À l’adolescence, dans une Grande-Bretagne minée par le chômage, il participe à des manifestations antinucléaires et lutte contre la création de nouvelles routes.

À 18 ans, pour fuir la morosité ambiante, il quitte le pays pour aller vivre deux ans et demi en Toscane, dans un monastère bouddhiste tibétain. « Cela a changé ma vie, glisse-t-il. J’ai été particulièrement marqué par l’idéal du bodhisattva pour qui rien ne rend plus heureux que de vivre au service des autres ».

Après son séjour italien, cap sur l’Inde, la Chine et le Tibet ! Avant de revenir en Grande-Bretagne et de s’installer à Bristol. Là, il apprend la permaculture, passe un doctorat option qualité environnementale et gestion des ressources naturelles. De 1996 à 2005, il enseigne la permaculture à Kinsale, une ville de 6000 habitants du comté de Cork, dans le sud de l’Irlande. Lors de sa dernière année d’enseignement, il propose à ses étudiants de redesigner Kinsale, en imaginant leur ville sevrée des énergies fossiles. « Je leur ai suggéré de libérer leur imagination pour concevoir une ville plus heureuse et plus apaisée qu’auparavant. » Le fruit de leurs travaux a été compilé et publié dans un ouvrage, mis en ligne et consulté 6000 fois en l’espace de quelques mois.

Totnes en transition

En 2005, Rob Hopkins s’installe à Totnes, un bourg de 9000 habitants, dans le sud du Devon, avec sa femme et ses quatre fils. Là, avec une bande de nouveaux amis, il applique, à l’échelle du bourg, les outils de la permaculture, cette méthode visant à cultiver et à aménager les territoires à la manière d’écosystèmes autonomes productifs et économes en travail comme en énergie. Le collectif se retrousse les manches, lance des groupes d’action autour des thèmes de l’alimentation, de l’énergie, de l’habitat et de l’économie, crée des jardins partagés, un écoquartier, installe des panneaux photovoltaïques sur les toits, initie une  monnaie, et met sur pied un plan de développement de l’économie locale, baptisé REconomy.

Trois ans plus tard, Rob Hopkins diffuse ses outils et son savoir-faire en publiant son Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale (Éd. Acte Sud). Le mouvement des villes en transition est né. Il a essaimé en quelques années en Europe, en Amérique du Nord et du Sud et en Australie principalement. On recense, aujourd’hui, environ 2500 à 3000 initiatives dans le monde. Face à la lenteur des accords internationaux et au message d’impuissance délivré par les États lors des COP, celle de Copenhague en 2009 notamment, de simples citoyens ont décidé de prendre les choses en main afin d’accélérer le processus.

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Totnes, un bourg anglais de 9000 habitants, dont Rob Hopkins a fait son tout premier terrain d’expérimentation.

Autosuffisance et sobriété

Pour faire face aux enjeux du pic pétrolier et prévenir, en même temps, l’aggravation du changement climatique, le mouvement de la transition s’attache à réagencer les territoires pour tendre vers une forme d’autosuffisance alimentaire et énergétique. Les solutions proposées tournent toutes autour des idées de sobriété, de réévaluation des besoins, d’entraide et de relocalisation. Priorité est donnée à la production locale d’énergies renouvelables, mais aussi et surtout à la relocalisation de la production alimentaire grâce à des circuits courts et à la création de ceintures maraîchères autour des villes.

Le rôle de Rob Hopkins, dans l’essaimage du mouvement, a été avant tout celui de créateur de fictions. Il passe en revue les initiatives qui lui semblent les plus fécondes et porteuses d’avenir et s’emploie à les faire connaître en les partageant sur des blogs, dans des films documentaires et dans des livres. « Les fondateurs du réseau de la transition sont avant tout des conteurs d’histoires, et Rob en est l’architecte en chef, souligne Filipa Pimentel, chercheuse en écologie forestière et ancien haut fonctionnaire européen, qui a rejoint le mouvement dans le sillage de la crise des «subprimes». Il parvient, de façon tout à fait étonnante, à amplifier les histoires positives ».

Orateur chaleureux et enthousiaste, plein d’humour et de sens de l’autodérision, Rob Hopkins multiplie les tournées de conférences en Europe pour diffuser la bonne parole. Julien Dezécot, le directeur de la publication du magazine Sans Transition, qui l’accompagne dans ses tournées en France, dépeint « un homme d’une énergie folle qui emporte les gens ». « Il est sans ego, résolument et volontairement optimiste, sans être naïf », poursuit Filipa Pimentel.

Rob Hopkins occupe désormais son temps à écrire et à former des groupes au pouvoir de l’imagination. Et ses plages libres à cultiver son potager, à dessiner et à réaliser des estampes.

Pour lui, le réseau de la transition est avant tout un catalyseur du changement. « Il ne faut surtout pas croire que la cavalerie des westerns de notre enfance viendra nous sauver, lance-t-il. C’est nous qui sommes la cavalerie. C’est à nous citoyens de changer les choses. Ni les États, ni les entreprises ne le feront à notre place. Se mettre en mouvement est essentiel. Cela permet de réveiller notre capacité d’agir », observe-t-il, avant de citer Goethe : « Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie ». ■

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