Aux bons soins des bêtes
Notre rapport aux animaux domestiques a complètement changé en quelques années. Plus que jamais considérés comme des membres de la famille, le chien et le chat bénéficient désormais des mêmes soins que les humains.
C’est une clinique comme il en existe dans tous les centres-villes. Une arcade médicale de 600 m2, installée rue Sigismond-Thalberg, à Genève, à deux pas de la gare et du lac. À l’intérieur, des salles de consultation, une autre d’opération, un scanner dernier cri et bientôt une IRM attendent leurs patients. Un détail dans la salle d’attente jette quand même un doute chez le visiteur. Elle est divisée en deux : une partie pour les chiens, une autre pour les chats. Sans parler de l’entrée, occupée par une boutique qui vend des croquettes, des shampooings, des laisses et des jouets qui font pouic-pouic.
Fans de reggae
La clinique VetGenève a ouvert en mars 2024. Propriété de SwissVet Group fondé à St-Prex par le vétérinaire Dr Antoine Adam, puis rattachée au britannique VetPartners, elle a rejoint la vingtaine de cabinets déjà implantés dans le pays, principalement en Suisse romande et bientôt en territoire alémanique. Trois vétérinaires, quatre assistants et une technicienne de radiologie médicale y accueillent les animaux du canton, mais pas les gros ni les NAC, ces nouveaux animaux de compagnie : serpents, iguanes et rongeurs. Il existe deux structures à peu près semblables au Grand-Saconnex et à Meyrin, les deux ouvertes en l’espace de deux ans, mais celle de la rue Sigismond-Thalberg est, pour l’instant, la seule à être implantée au cœur de la cité. Vétérinaire responsable, à la tête du cabinet depuis son ouverture, le Dr Nicolas Ruiz fait le tour du propriétaire.
Les salles de consultation sont adaptées en fonction de l’animal. Celles des chats, par exemple, répondent au label Catfriendly Silver. Elle est équipée de tout un mobilier en hauteur et ne comporte aucun recoin où les félins pourraient aller se carapater. Dans une autre pièce, il y a les cages où les chiens convalescents attendent leurs maîtres. À côté, des box transparentes sont réservées aux chats. Il y en a trois qui reprennent du poil de la bête. Comme Rachel, la chatte abyssine qui s’est défenestrée du 9e étage. « Pattes, mâchoires, orteils… tout était cassé. Les côtes avaient perforé un poumon. Sa propriétaire la croyait morte. Nous avons tout réparé, reprend le vétérinaire, le seul de la clinique habilité à opérer. Le rôle de Dylan, notre anesthésiste, a été crucial dans ce sauvetage. Il a posé un cathéter épidural afin d’endormir les membres de manière ciblée. Cette une technique très courante en médecine humaine, mais encore très rare en médecine animale. » Les salles d’opération n’ont d’ailleurs rien à envier à celles des hôpitaux. Il y a même des enceintes sans fil pour diffuser de la musique. « Les chats sont fans de classique. Les chiens, c’est plus étonnant, mais c’est le reggae qui les calme. »

Membre de la famille
Tout cela illustre aussi l’évolution spectaculaire de la médecine animale. « Il y a quelques années encore, aller chez le vétérinaire signifiait surtout des soins de base. Désormais, des structures comme la nôtre proposent des équipements de pointe et des techniques avancées, comparables à celles utilisées pour les humains. »
Elle montre aussi à quel point notre rapport aux animaux de compagnie a radicalement changé. Aujourd’hui, un chien ou un chat est considéré comme un membre à part entière de la famille : un frère, une sœur, un fils ou une fille. Cette évolution entraîne des exigences de la part des maîtres qui estiment que leurs compagnons doivent être soignés aussi bien qu’eux. « On demande aux vétérinaires d’être de plus en plus pointus techniquement et de rester constamment à jour dans leurs connaissances. Les propriétaires veulent que leurs animaux soient soignés selon les standards les plus élevés, avec une médecine basée sur les preuves, continue Nicolas Ruiz. Ils tolèrent beaucoup moins l’attente qu’autrefois, veulent que les soins soient prodigués rapidement. Nous nous adaptons en mettant à disposition, au sein d’une seule et même clinique, tous les moyens nécessaires. Cela exige énormément de travail. » Pour un vétérinaire déjà installé, maintenir ce niveau dans toutes les disciplines est extrêmement complexe. Il doit en effet être à la fois cardiologue, dermatologue, ophtalmologue, néphrologue… « C’est une mission très large et il est impossible d’être spécialiste dans tous les domaines. C’est pour cela qu’il est précieux d’avoir de tels établissements, où chaque praticien peut se concentrer sur un domaine spécifique. Lorsqu’un confrère se retrouve bloqué face à un cas, il peut alors s’appuyer sur nous pour orienter son patient et obtenir une prise en charge adaptée. C’est d’ailleurs cette logique qui explique l’ouverture de structures comme la nôtre : mettre en place des moyens techniques et humains pour offrir aux animaux les meilleurs soins possibles, en réunissant des compétences spécialisées. »

Vies sauvées
Car oui, les vétérinaires envoient les cas trop lourds chez leurs confrères. Comme on le ferait en médecine humaine lorsque votre généraliste vous adresse à un gastroentérologue. « Au départ, les vétérinaires étaient peut-être un peu méfiants en nous voyant arriver. Mais ils ont rapidement compris que nous n’étions pas en concurrence, bien au contraire. En cela, le principe est clair : lorsqu’un confrère nous adresse un client pour un acte spécifique, nous réalisons la prise en charge, puis nous le renvoyons ensuite vers son vétérinaire habituel. Cette collaboration est essentielle et bénéfique à tous », estime Nicolas Ruiz. Conséquences de ces bons soins : on sauve bien plus d’animaux qu’il y a une dizaine d’années. « Indéniablement. À l’époque, certains animaux étaient jugés « perdus » et euthanasiés faute de moyens pour les soigner. Aujourd’hui, le plateau technique et les compétences spécialisées permettent non seulement de diagnostiquer rapidement, mais aussi de traiter efficacement des pathologies autrefois considérées comme irréversibles. Le scanner et l’IRM sont des outils fantastiques qui ont véritablement changé la donne, reprend le vétérinaire qui tient à préciser : Certes, nous proposons des soins avancés avec des moyens techniques importants, mais nous faisons aussi de la prévention des maladies et des soins de santé courants via notre service de médecine générale. »
Cette nouvelle considération de l’animal domestique a également entraîné dans son sillage de nombreux marchés qui rapportent gros. Le pet food notamment, ce secteur de l’alimentation vétérinaire, est en plein boom avec ses croquettes régimes, ses produits sans gluten, voire ses glaces « spécial toutou » lorsqu’il fait trop chaud. Bref toute une gamme de produits étonnants qui laissent totalement incrédules ceux qui ne possèdent pas de compagnons à quatre pattes. Le milieu des assurances a également bien compris qu’il avait une carte à jouer face à cet amour inconditionnel. L’opération de Rachel, la petite abyssine miraculée, va en effet coûter le lard du chat à sa propriétaire. « Les gens sont prêts à aller très loin et à mettre beaucoup de moyens pour que leur animal vive. Pour autant, il y a une limite à ne pas dépasser, celle de l’acharnement. » Le cabinet possède ainsi une petite salle dans laquelle baigne une atmosphère un peu zen. « C’est notre chambre de fin de vie, reprend Nicolas Ruiz. Il faut savoir s’arrêter à un moment et laisser son chien ou son chat partir dignement. » ■