L’Espagne vend ses bâtiments publics au pire moment

C’est la plus grande opération immobilière de l’histoire récente de l’Espagne : plus d’un quart du patrimoine de l’Etat est en vente.

Pour équilibrer ses comptes et réduire son déficit, le Gouvernement de Mariano Rajoy a publié l’été dernier une liste de 15 135 bâtiments publics à vendre d’ici à 2015. Immeubles, bureaux, forêts, terrains, usines, garages, logements à loyer modéré, hôtels particuliers : les potentiels acquéreurs n’ont que l’embarras du choix. La liste exhaustive des biens est disponible sur le site Internet du Gouvernement. Parmi les bâtiments qui passeront aux mains d’investisseurs privés, il y a l’ancien siège de la télévision publique, situé dans le quartier le plus chic de Madrid, un hôpital militaire du XXe siècle, un aérodrome sur l’île de Minorque ou encore un immense parc naturel protégé en Andalousie. L’objectif de Madrid est clair : se débarrasser d’une grande partie de son patrimoine pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat. Après une sévère cure d’austérité, le déficit public de l’Espagne recule, mais pas suffisamment. Pour l’année 2013, il devrait s’élever à 6,5 % du PIB. Grâce à la vente d’une partie du patrimoine de l’Etat, l’exécutif pourrait engranger entre 2 et 3 milliards d’euros selon www.idealista.com, le site de référence de l’immobilier en Espagne. Le Gouvernement s’est toutefois refusé à avancer le moindre chiffre.

 

Parmi les bâtiments qui passeront aux mains d’investisseurs privés, il y a l’ancien siège de la télévision publique, un aérodrome ou encore un immense parc naturel.

Des prix dérisoires

« Cette vente est une bonne chose », souligne Mikel Echavarren, directeur du cabinet de conseil en immobilier Irea. « Ces dernières années, l’Etat était devenu un monstre immobilier et il fallait l’alléger. Malheureusement, ce n’est vraiment pas le meilleur moment pour vendre. » Avec la crise et l’effondrement du marché immobilier, les prix sont au plus bas. « Les biens de l’Etat vont se vendre au compte-goutte et à des prix dérisoires », indique Angel Serrano, directeur général d’Aguirre Newman, un poids lourd du secteur immobilier. « L’offre est trop abondante et beaucoup de bâtiments sont difficilement exploitables. » Même si, dans ce domaine, l’Etat a fait preuve de transparence en publiant la liste des biens à vendre, aucune évaluation qualitative précise n’a été réalisée. Les informations sur l’état de conservation des bâtiments n’ont pas été rendues publiques et les citoyens ne savent pas quels sont les critères qui ont présidé à l’élaboration de la liste des immeubles à vendre.
Face à lui, l’Etat a de sérieux concurrents : les régions et les grandes villes du pays ont également mis en vente leur patrimoine. Ainsi la Catalogne a vendu au groupe pharmaceutique italien Angelini, pour 23 millions d’euros, le siège du Ministère régional de l’Economie : un joyau de l’architecture moderniste en plein cœur de Barcelone. L’été dernier, le français Axa avait acquis treize bâtiments de l’administration catalane pour 172 millions d’euros. Pour conclure ces ventes, Barcelone a été obligée de revoir ses prix de vente à la baisse.

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Immeuble vendu. Siège du Ministère régional catalan de l’Economie à Barcelone.

Même si le contexte économique reste très difficile, le marché a récemment repris quelques couleurs. Il y a peu, personne ne voulait investir en Espagne, mais en 2013 le pays a retrouvé une certaine attractivité. Ainsi « les parcs de logements à loyer modéré intéressent les fonds d’investissement étrangers », précise Mikel Echavarren. Ces derniers mois, des milliers de locataires, dans les banlieues de Madrid ou de Barcelone, ont reçu un courrier les informant que le propriétaire de leur logement n’était plus la région ou la commune, mais une société privée. Officiellement, les conditions de location et les loyers n’ont pas été modifiés. Mais l’opposition socialiste dénonce cette privatisation et s’inquiète des possibles conséquences pour les locataires. D’autres voix s’élèvent pour dénoncer « la dilapidation du patrimoine national sur l’autel de l’austérité ». Plusieurs bâtiments ont une grande valeur historique. Des espaces naturels protégés risquent de passer aux mains d’investisseurs immobiliers peu soucieux du respect de l’environne-ment. Enfin l’opposition conteste les choix du Gouvernement : la vente du patrimoine de l’Etat ne devrait pas avoir pour seul but la réduction du déficit. Selon la gauche et les syndicats, l’argent devrait aussi servir à financer les services publics et à atténuer les coupes budgétaires dans l’éducation et la santé.