Faire impression, là-haut sur la montagne

Inaugurée au printemps dernier, la Tour blanche de Mulegns dans les Grisons est la plus haute structure imprimée en 3D au monde. Réalisée par une fondation culturelle et l’EPFZ, elle entend éclairer le futur numérique de la construction et revitaliser une région délaissée.

La route du col du Julier, entre Coire et Saint-Moritz, a un nouveau phare de 30 mètres de hauteur. À Mulegns, la Tour blanche permet de s’orienter vers l’avenir de la construction en béton, la revitalisation des petits villages de montagne et le rôle de la culture comme agente du changement. Une fondation culturelle est à l’origine de la plus haute structure imprimée en 3D au monde. La Nova Fundaziun Origen (origine, en romanche) a été créée en 2005 par le dramaturge Giovanni Netzer. Originaire de la région de l’Albula, le Grison s’est vite transformé en entrepreneur de montagne. Il a multiplié les créations de spectacles et de festivals, les soutiens aux jeunes artistes, les recherches historiques, la conservation du patrimoine bâti et la construction d’édifices qui, partout, font parler d’eux. À l’exemple, en 2017, d’une tour rouge au sommet du col du Julier, étonnant théâtre qui a depuis été démonté. Basée à Riom dans le Val Surses, la fondation Origen emploie aujourd’hui une quarantaine de personnes et six fois plus de collaborateurs saisonniers.

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La Tour blanche de Mulegns dans les Grisons. La plus haute structure imprimée en 3D au monde.

Flambeau de béton

En 2019, Giovanni Netzer s’est mis en tête de sauver le minuscule village de Mulegns, 11 habitants, en danger d’extinction. Situé non loin de Riom, Mulegns était béni des dieux alpestres au tournant des XIXe et XXe siècles. En cette ère de développement touristique, le village servait de halte aux diligences en route vers l’Engadine. Son hôtel accueillait des têtes couronnées, un président américain, de riches voyageurs en quête d’air pur. La région avait connu de multiples émigrations de jeunes gens, dont beaucoup de talentueux pâtissiers. Certains d’entre eux étaient revenus sur le tard pour construire de fastueuses maisons et des infrastructures pour le bien-être général. Puis le chemin de fer de l’Albula a été construit, la route du col a été délaissée, le Val a dépéri.

Après avoir rénové à Mulegns l’hôtel Löwe et ses dépendances, la fondation Origen s’est liée à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) pour imaginer une autre tour, un flambeau de béton blanc qui serait signe de renouveau et pari sur l’avenir de la construction. Le postulat de départ était limpide. La croissance frénétique de l’urbanisation et des bâtiments en béton rend indispensable la transition numérique de l’architecture.

Inspiration baroque

La fabrication additive, ou impression 3D par application de couches successives de matière à partir d’un modèle informatisé, permet d’économiser du béton, du CO2, des transports et des déchets, par exemple les coffrages rendus inutiles par la méthode robotisée. Celle-ci n’est pas totalement vertueuse. Elle demande son lot de ciment à la fabrication énergivore ou d’additifs synthétiques pour qu’une couche sèche suffisamment avant de recevoir la suivante. La fabrication additive reste toutefois plus écologique que le bétonnage conventionnel. L’impression 3D permet en outre une grande liberté formelle. Origen et le Département des techniques numériques de la construction de l’EPFZ en ont tiré parti pour créer la Tor Alva, ou Tour blanche. Elle a l’allure d’une pièce montée, hommage aux pâtissiers d’autrefois. Sa teinte blanche, ses torsades et son dôme évoquent un gâteau de mariage. La tour s’inspire en outre des architectes grisons de la période baroque, qui ont exercé leur art en Europe.

La construction ajourée s’évase vers le haut. Les trente-deux colonnes de l’édifice ont des formes et des traitements de surface différents, tantôt verticaux, tantôt horizontaux. Tout cela nourrit une impression disparate, comme si la construction était un catalogue des possibilités ornementales de la fabrication additive. Ce qu’elle assume d’être, fière et pionnière. À Zurich, après la conception du logiciel 3D, deux robots ont travaillé de concert sur les éléments de la structure. L’un extrudait le béton par couche, l’autre insérait les armatures. Les pièces ont été transportées dans le Val Surses, puis montées sur place grâce à des vis. Si bien que la construction modulaire, inaugurée le 20 mai 2025, pourra être facilement démontée en 2028 pour s’installer ailleurs. Elle s’inscrit ainsi dans une économie circulaire et durable.

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Un détail de la tour. Il montre bien les différentes strates créées par la machine.

Paysage wagnérien

En gravissant l’escalier en colimaçon, le visiteur monte vers la lumière. Sous le dôme filigrané, l’espace sommital est un belvédère qui s’ouvre sur un paysage wagnérien. Il peut accueillir trente-deux personnes assises. Les spectacles alternent représentations théâtrales, chants romanches ou musique électro. Des expositions et des performances sont aussi prévues au fil des quatre étages. La tour est flanquée d’anciens bâtiments réhabilités en démonstrateur des techniques d’impression 3D, en musée d’histoire de la Tour blanche, en grande salle de spectacle, en centre d’information-boutique, sans oublier une gelateria, clin d’œil supplémentaire aux artisans du sucre.

La tour a coûté 4,4 millions de francs, le double de son budget initial. L’argent est venu de différents partenaires industriels, économiques et politiques, mais aussi d’un financement participatif qui offre la possibilité d’acquérir une section de la réalisation, par exemple une colonne.

Superbement éclairée la nuit, la Tor Alva revêtira une membrane protectrice en hiver. Elle se visite avec un guide, en petits groupes, sur réservation. Puisant dans le patrimoine culturel des lieux, le phare de Mulegns espère créer des emplois et repeupler à terme le village. Ses faisceaux éclaircissent les enjeux actuels de migration, de mobilité, de tourisme, d’intégration, de développement durable. Ils dévoilent aussi un futur toujours plus numérique, y compris dans l’architecture, cet art de créer des formes qui répondent aux besoins humains. ■

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