Quels adultes voulons-nous pour demain?

L’affaire semble entendue : l’école de l’avenir sera numérique ou ne sera pas. Vraiment ?

L’affaire semble entendue : l’école de l’avenir sera numérique ou ne sera pas. Vraiment ?

D’un côté, des politiciens dont beaucoup craignent de paraître ringards s’ils n’adhèrent pas à la vague numérique ; des parents déboussolés quant à la hiérarchie des compétences et des savoirs, et névrotiquement inquiets si leurs enfants ne savent pas utiliser une tablette dès le plus jeune âge. De l’autre, des voix discordantes (émanant fréquemment de milieux cultivés, est-ce osé de le mentionner ?), ou des écoles traditionalistes qui résistent.

La question n’est-elle pas à poser autrement : quels adultes voulons-nous pour demain ? Des « geeks » incollables dans des technologies qui changent sans cesse, rompus à la navigation sur le Web, ou des têtes bien faites capables de réfléchir et de trouver des solutions en puisant…dans leur mémoire ? Est-ce juste d’opposer apprentissages traditionnel et numérique ?

Tes amis qui n'auront pas cultivé leur mémoire auront juste vécu une seule vie, la leur.

Umberto Eco

Le débat est loin d’être clos, et nous ne prenons pas de risque en appelant à une certaine circonspection : même les partisans du numérique reconnaissent qu’il favorise la distraction et la dispersion, et qu’à force de soulager la mémoire, ce « muscle » menace de devenir inopérant1. De même, l’influence éventuelle des appareils numériques dans la baisse du QI moyen (si elle est avérée) mérite examen.

Simon Sinek, parmi d’autres, observe que la décharge de dopamine provoquée par les appareils numériques est tout à fait comparable à celle provoquée par d’autres produits addictifs (alcool, drogue, jeu). Sous cet angle, il s’étonne du libre accès de la jeunesse aux activités numériques et aux réseaux sociaux. Une pièce intéressante à verser au dossier2.

Nous donnons la parole à des professionnels de l’éducation (dont certains, comme Jean Romain, avec un avis bien trempé : « La mémoire est méprisée par l’école et c’est une perte énorme »), et parcourons aussi le monde, ce qui nous permet de découvrir des expériences fascinantes, comme l’entreprise indienne Think & Learn, pionnière de l’enseignement en ligne ; le programme ambitieux du Rwanda visant à équiper chaque foyer d’un PC ; ou encore qui sait que seule une école américaine sur quatre offre des cours d’informatique ? À côté des écoles Montessori ou Steiner, pour le moins réservées face au numérique, on trouve aussi une école Waldorf en Californie, aussi réputée que coûteuse, qui tient à ce que ses élèves continuent à étudier avec des livres et des cahiers ; une attitude également adoptée par la prestigieuse Sydney Grammar School en Australie.

Mais nous mettons aussi un coup de projecteur sur « l’enseignement artificiel » (p. 30) et notamment sur Ray Kurzweil, une sorte de génie illuminé tendance extrémiste du numérique. Pour cet apôtre de la « Singularité », laquelle a son Université3, « dans vingt ans tout au plus, les notions d’instruction, d’éducation, d’enseignement, d’apprentissage des savoirs seront aussi dépassées que le silex. On n’apprendra plus, on sera téléchargé. » Car, précise Marvin Minsky, chercheur en intelligence artificielle, « le cerveau n’est qu’une machine faite de viande ». De quoi se réjouir, vraiment ?

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