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Tourisme – Lucerne s’apprête à faire payer ses visiteurs d’un jour

Victime de son attractivité mondiale, Lucerne peine à gérer le flux des touristes. Pour limiter les embouteillages et apaiser sa population, la ville est appelée à revoir sa stratégie touristique et envisage de faire passer les cars touristiques à la caisse.

Chaque année, 9,4 millions de personnes visitent Lucerne, soit plus de 25’000 par jour, selon la HES de Lucerne. L’immense majorité n’y passe pas la nuit: les groupes de touristes asiatiques font la visite au pas de course, avant de passer à l’étape suivante.

Le choc des mondes

Löwenplatz, 09h00 en plein été: le ballet des cars bat déjà son plein et les grappes de passagers qui en débarquent sont guidés jusqu’au proche monument du lion. Ils prennent des photos et reviennent aussitôt sur leurs pas, direction la vieille ville et le Pont de la chapelle. « Nous sommes arrivés ce matin et repartons tout à l’heure pour l’Allemagne », raconte un Taïwanais.

A deux pas, la pittoresque Steinenstrasse et ses maisons colorées des années 1870 semblent loin de cette agitation. « Pour l’instant! », avertit Felix Elsasser, qui habite et possède un atelier de taille de pierre dans cette rue. Ce qui l’effraie? La construction prévue d’un hôtel trois étoiles, qui nécessitera la démolition de deux bâtiments historiques.

« Cet hôtel va faire perdre de la valeur à notre rue et provoquer un afflux de touristes », s’alarme le Lucernois qui n’a pas envie que son quartier subisse le même sort que la vieille ville, où commerces de proximité et artisans ont été remplacés par les hôtels, les bijouteries et les magasins de souvenirs. Une pétition signée par 1745 résidents a été remise à la ville en 2017, mais les travaux ont été autorisés. Le Tribunal cantonal devra trancher.

Un défi politique

L’inquiétude d’une partie de la population retentit aussi au niveau politique. Depuis 2015, les cars se rendant sur les deux points d’accès aux sites historiques de la ville doivent se contenter, aux heures de pointe, de laisser descendre leurs voyageurs et de repartir aussitôt.

En mars dernier, le parlement communal a chargé l’exécutif d’évaluer l’introduction d’une taxe de 120 francs par car s’arrêtant dans le centre-ville. Objectif: réduire les nuisances et faire participer les visiteurs d’un jour aux coûts d’infrastructures.

La municipalité se dit favorable au principe. Elle doit soumettre ses premières solutions en octobre prochain, indique à Keystone-ATS Adrian Borgula, chef vert du dicastère de l’environnement et de la mobilité.

Habitants consultés

Côté infrastructures nouvelles, plusieurs idées ont été lancées. Parmi elles, une initiative populaire propose d’installer un parking souterrain de cars au nord de la ville, relié au centre par un métro. Les autorités s’y opposent pour des raisons de coûts et parce qu’elles estiment le projet aussi inutile qu’irréaliste.

Une étude mandatée par la municipalité propose la construction d’un grand parking à l’Allmend, dans l’ouest, proche du stade de football et d’une gare RER. La ville va toutefois élaborer d’abord une nouvelle stratégie touristique, en recueillant les doléances des habitants dès la fin 2019. Le besoin en infrastructures et les règles définitives de stationnement des cars en découleront.

Enjeu économique

Sur le fond, l’exécutif ne considère pas que les limites du « sur-tourisme » sont atteintes. Les flux soudains de milliers de touristes asiatiques envoyés en voyage par leur employeur en mai dernier ont été gérés « sans poser de grands problèmes pour la vie quotidienne en ville », estime Adrian Borgula.

Le magistrat rappelle que Lucerne est une ville « ouverte au monde », que ses habitants sont eux aussi souvent des touristes ailleurs et que le tourisme se limite à quelques lieux précis en ville. Et d’ajouter: « Le tourisme est important pour notre économie. »

Professeur d’économie touristique à la HES de Lucerne, Jürg Stettler résume le dilemme auquel la ville est confrontée: « Si l’on veut limiter le tourisme à Lucerne, les groupes organisés sont les seuls sur lesquels il est possible d’agir, grâce à la taxe. Or, après les voyageurs du Golfe, les Asiatiques sont ceux qui dépensent le plus. »

Pas de tourisme de masse

La forte présence de la clientèle asiatique est d’autant plus importante que la Suisse a perdu la moitié de ses touristes européens depuis 2008, renchérit Suisse Tourisme.

Interrogé dernièrement par la radio alémanique SRF, son directeur Martin Nydegger se défend toutefois de favoriser le tourisme de masse. « Nous ne dépensons pas un centime pour promouvoir le tourisme en groupe », souligne-t-il en rappelant que les prix élevés de la Suisse préservent le pays du sur-tourisme.

Conscient des engorgements ponctuels que connaît Lucerne, Martin Nydegger ajoute que Suisse Tourisme « diversifie les destinations et les saisons pour mieux répartir la venue de touristes. Nous devons aussi leur montrer les autres attractions de la Suisse centrale, en bateau ou en train. »

Par Fabien Gysel et Benjamin Keller, Keystone-ATS