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Mettre en lumière pour révéler

L’éclairage d’un bâtiment dépasse l’objet lui-même : il influence l’environnement immédiat ou lointain, contribuant à façonner l’esprit du lieu. En tant que concepteur éclairagiste, Simon Simos œuvre depuis plus de trente ans pour susciter et renforcer les émotions liées à chaque site.

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Siège de la SOCIÉTÉ PRIVÉE DE GÉRANCE. Mise en lumière de la façade par Simon Simos.

– Quel rapport la lumière entretient-elle avec l’architecture ?

Simon Simos – Chaque bâtiment est un objet unique. Unique non pas dans le sens « remarquable » ou « exceptionnel », mais unique par sa forme, sa dimension, les matériaux utilisés, les rapports entre ses parties pleines et vides. Sa position dans l’espace et dans un contexte urbain spécifique définit également chaque objet. Mais au-delà de ces qualités, c’est la perception des individus qui entre en jeu : celle-ci change selon la vision de jour ou de nuit. La lumière naturelle varie du matin au soir, au fil des saisons et des conditions atmosphériques. Quant à la lumière nocturne et artificielle, elle joue avec la structure du bâtiment, influençant nos représentations et nos émotions. Sans lumière, il n’y a donc pas de vision, ni de perception. Mais sans matière, il n’y a pas non plus de perception. Voilà donc les deux ingrédients nécessaires : la matière et la lumière. La matière reçoit et réfléchit – entièrement ou partiellement – la lumière ; c’est cette interaction permanente qui rend la vision possible. Enfin, notre cerveau intervient pour interpréter les informations, former sa propre réalité et nous guider dans notre ressenti.

– Vous envisagez le concepteur éclairagiste comme un metteur en lumière. Qu’entendez-vous par là ?

– Doser, modifier, travailler à la fois la matière et la lumière, c’est l’apanage du metteur en lumière (en scène). Transparence, translucidité, opacité de la matière, couleurs et textures sont quelques outils qui créent le dialogue. La lumière ne peut être révélée, vue, appréciée que par opposition à l’obscurité. Ce contraste clair-obscur définit toutes les nuances possibles et nous permet de travailler de manière subtile l’apparence nocturne d’un objet, d’un élément ou d’un lieu. La lumière, voyageant sur la matière, par exemple le long d’une façade, empruntera des chemins différents selon la géométrie du bâtiment et créera des motifs évocateurs. C’est par le biais de ces interactions entre lumière et matière que la beauté est révélée. Mais l’esthétique à elle seule ne suffit pas : l’éclairage nocturne doit toucher l’âme humaine et faire vibrer ce qu’il y a de plus profond en nous !

– Vous venez d’obtenir une distinction de renommée internationale pour l’éclairage du bâtiment de la SPG à Genève. Quelle est selon vous la recette du succès ?

– Trois aspects me semblent essentiels. Le premier concerne la volonté affirmée du maître d’ouvrage dans la réussite de l’image nocturne de son bâtiment. Cela implique de l’intégrer suffisamment en amont du projet et de s’assurer du budget de l’intervention lumière, qui peut être conséquent. Le deuxième élément porte sur le choix d’un spécialiste éclairagiste faisant preuve d’une maîtrise des aspects techniques en évolution permanente et des dimensions esthétiques. Car si les connaissances techniques sont un préalable nécessaire, elles restent insuffisantes : la sensibilité artistique du concepteur est primordiale ! Le dernier point est l’attitude appropriée des autorités, qui sont tenues – pour approuver une installation d’éclairage – d’appliquer des critères devenus de plus en plus complexes.

– Quels sont les projets qui ont marqué votre carrière ?

– J’aime intervenir sur des objets diversifiés, l’éclairage permettant de valoriser leur essence même. En 2005, j’ai eu la chance de mettre en lumière les superstructures des deux mosquées Sultan Hassan et Al-Rifa’i au Caire. Ces objets patrimoniaux, l’un datant du XIVe et l’autre du XIXe siècle, sont à la fois des lieux de culte et des monuments historiques. Situées sur une grande place publique à proximité de la citadelle de Saladin, ces mosquées constituent des points de repère importants. L’enjeu consistait à dissimuler entièrement les sources d’éclairage, tout en révélant l’effet lumière sur les dômes et les minarets. Dans un contexte très différent, j’ai développé en 2011 un concept d’éclairage pour la cour intérieure du siège européen de Allen & Overy à Paris, l’un des seuls bâtiments contemporains du quartier des Champs-Élysées. Cette cour intérieure à ciel ouvert est visible uniquement par les employés et les clients de l’entreprise ; mon intervention sur cet espace extérieur consistait à éclairer de nuit les ouvertures zénithales donnant sur le restaurant en sous-sol. Les éléments cubiques en verre sont illuminés par des lignes de LED, qui se poursuivent sur le sol minéral et le gazon. Enfin, le bâtiment du siège de la SPG à la route de Chêne crée, par le biais des lamelles sérigraphiées, une illusion d’optique surprenante. En se plaçant selon une perspective latérale, la façade donne une impression de flou. Travailler sur un bâtiment conçu avec trois côtés de verre a été pour moi un véritable défi. Au vu de la tendance architecturale qui privilégie la transparence des bâtiments, c’est d’ailleurs un challenge auquel seront confrontés les éclairagistes de demain !

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