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L’agriculture en ville, c’est de la chlorophylle

En 2050, la population aura atteint près de 9 milliards et les trois quarts des terriens seront concentrés dans les villes. Un constat qui impose de trouver de nouveaux modes de consommation, productifs et évolutifs. L’Urban Farming, ou agriculture urbaine, offre des perspectives intéressantes pour les amateurs de légumes et de poissons frais d’origine locale.

Après avoir conquis quelques Etats américains, l’Australie, l’Angleterre et quelques pays du sud, la culture aquaponique opère une percée en Suisse. L’aquaponie est un mot valise associant « aquaculture » (l’élevage de poissons comestibles de type truite et tilapia) et « hydroponie » (la culture de végétaux hors sol). Elle permet de produire localement des légumes et du poisson, de rentabiliser des surfaces jusqu’alors inexploitées comme les toitures, de limiter la consommation d’eau grâce à un circuit fermé ainsi que celle de pesticides grâce aux éléments nutritifs à haute valeur ajoutée contenus dans les excréments des poissons.

La station pilote permet d’approvisionner en partie le rayon frais de la Migros située à quelques centaines de mètres.

Des excréments comme fertilisants

Pour faire simple, ces déjections servent d’engrais aux plantes. Leurs racines récupèrent les éléments nutritifs dans l’eau qui, ainsi purifiée, retourne dans les bassins de poissons. « Ce système en circuit fermé est une symbiose naturelle entre les poissons et les plantes sans utiliser de terre arable », explique Roman Gaus, fondateur d’UrbanFarmers, dans une vidéo de présentation. « Nous pouvons cultiver des salades, des herbes aromatiques, des tomates, des poivrons, des aubergines ou des melons, mais aussi des poissons pour la consommation. Ce système est particulièrement efficace, car il permet d’utiliser jusqu’à 90 % d’eau en moins que l’agriculture conventionnelle », précise-t-il. C’est fin 2012, dans le quartier industriel de Dreispitz, à Bâle, que la start-up a choisi de tester cette innovation. Sur le toit d’un ancien dépôt de locomotive, son « laboratoire pilote » s’étend sur 250 m2 répartis entre un container et une serre. Ce binôme, baptisé UFU – Urban Farm Unit – par son concepteur, le designer français Damien Chivialle, cumule les avantages : recyclage de vieux containers, déplacement aisé, bonne solidité pour un encombrement limité. Les plans de construction, disponibles en open source sur le site du créateur, urbanfarmunits.com, ont très vite été suivis dans plusieurs villes d’Europe.

En pratique

La serre est destinée à la culture des légumes et herbes aromatiques. Le circuit de l’eau démarre par la pisciculture : ses quatre bassins contiennent chacun une centaine de tilapias ou de truites évoluant en rang serré. Avec 1,400 kg de nourriture, ils parviennent à produire 1 kg de poissons. Les déjections sont récupérées et passent par des filtres à tambours ensemencés avec des bactéries. Ce système de filtration biologique permet de récupérer les nitrates et les phosphates, indispensables à la bonne croissance des plantes. Grâce à une pompe, l’eau chargée en nutriments est ensuite acheminée vers la serre. Pas de terre ici. Les racines des légumes baignent directement dans des bacs en laine de verre, de 18 cm de profondeur. Cette méthode déjà pratiquée par les Néerlandais, précurseurs de l’hydroponie, leur permet de cultiver 365 jours par an malgré le manque de soleil.

Des produits frais et cultivés près de chez soi

Sur l’année, près de 800 kg de poissons et 5 tonnes de légumes ont été produits, soit de quoi nourrir une centaine de personnes. « La ville de Bâle dispose de 2 millions de m2 de toitures. En utilisant simplement 5 % de ces derniers, nous pourrions nourrir 40 000 personnes, fait remarquer Roman Gaus. Ce type d’agriculture urbaine offre donc un beau potentiel. » Pour le moment, la station pilote permet d’approvisionner en partie le rayon frais de la Migros située à quelques centaines de mètres. Le reste de la production est acheminé à bicyclette chez quelques chefs renommés. La récolte ne peut pourtant prétendre au label Bio. Celui-ci exige en effet que la plante ait un lien direct avec le sol. En revanche, l’intérêt réside dans la production locale, garante de fraîcheur et annulant les coûts de transport, dans la valorisation d’espaces inutilisés, mais aussi dans l’absence de pesticides et d’engrais chimiques. Des critères qui pèseront de plus en plus lourd dans la balance alors qu’aujourd’hui encore « la plupart des denrées que l’on consomme ont parcouru près de 2 000 km avant d’arriver en magasin », constate Roman Gaus.

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Société Urbanisme